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collectif : "non a napoleon le petit"
17 mai 2009

Le sac du Palais d’Été

Cet épisode très peu glorieux, et même bien pire, pour l’Angleterre victorienne et la France de Napoléon III, a été remis en lumière à l’occasion de la vente Saint Laurent & Berger qui a eu lieu à Paris. Au cours de ce qui a été qualifié de « vente du siècle » Chisties’s a proposé deux sujets en bronze (têtes d’animaux) représentant les signes astrologiques chinois que les pillards franco-anglais avaient arrachés à l’une des fabuleuses fontaines du palais d’Été. Des milliers d’objets précieux ont ainsi été volés, les plus somptueux ayant été « prélevés » pour Victoria et Napoléon III qui n’hésitèrent pas à s’instituer receleurs.

Le général Cousin-Montauban que Napoléon III fit comte de Palikao ramena pour lui, des chariots entiers d’objets de valeur, qu’il fit vendre petit à petit aux enchères à Paris… Il osa même réclamer une dotation supplémentaire pour ses « exploits » ; l’empereur la lui accorda mais la Chambre, pourtant composée de séides du régime, recula devant le scandale et refusa de la voter. Aujourd’hui, le gouvernement chinois a réclamé sans succès les deux bronzes recelés et un acheteur chinois a gelé la vente de ces deux objets en enchérissant jusqu’à 15,7 millions d’euros pour chacun d’eux et la vente acquise, a refusé de les payer.

Il faut rappeler que cette expédition anglo-française était la troisième en Chine. Les deux puissances dit-on pudiquement, voulaient contraindre la Chine à « s’ouvrir au commerce occidental ». On oublie souvent de dire que le commerce, c’était celui de l’opium. Le gouvernement chinois ayant fait saisir et brûler des cargaisons d’opium introduites illégalement dans le pays par des négociants occidentaux, l’Angleterre et la France, envahirent la Chine, déclenchant la troisième « guerre de l’Opium ». Lord Elgin célèbre pour avoir pillé et dévasté le Parthénon ainsi que le baron Gros, accompagnaient l’expédition en qualité d’ambassadeurs extraordinaires. Les chefs des deux armées le lieutenant Sir Hope Grant et le général Cousin-Montauban se brouillèrent d’abord, l’un accusant l’autre de « prélever » une part de butin trop importante ; puis, tels des brigands de grand chemin, ils mirent en place une « commission mixte » destinée à planifier « équitablement » le pillage. Les Chinois firent 39 prisonniers occidentaux ; ils en exécutèrent 19 (probablement les officiers trouvés porteurs d’objets volés) et libérèrent les autres.

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Ce fut le prétexte officiel du sac du palais d’Été. Mais en réalité, cet acte inqualifiable digne de barbares était destiné à contraindre l’empereur de Chine à signer le traité de « commerce », tout en se remplissant les poches. Les Français arrivés les premiers commencèrent le pillage avant les Anglais, qui furieux mirent les bouchées doubles ; on vit des sapeurs français attaquer à la hache des horloges précieuses pour en arracher les diamants, on vit briser les jades, et les laques antiques qui ne pouvaient trouver place sur les chariots surchargés d’objets. Les délicates calligraphies de grands poètes, et les soies précieuses tissées et brodées pour les empereurs servirent de litière aux chevaux. Pour finir, les pillards incendièrent méthodiquement tous les bâtiments.

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Victor Hugo que l’on interrogea sur cet évènement fit une réponse qui mérite d’être mise en exergue au moment où toute une camarilla politico-bonapartiste, tente de faire réhabiliter Napoléon III et notamment à Nice, pour les « fêtes » qui seront organisée par M. Estrosi pour le 150e anniversaire de l’annexion de Nice. Le régime de Napoléon III, fut le plus « tripoteur » qu’il n’y ait eu en France. Certes le « feu d’artifice impérial » fut splendide pour la Cour, les banquiers et les spéculateurs ; mais dans le même temps, la dictature régnait, la presse était censurée, les opposants déportés, les ouvriers assommés de travail dans les usines et très peu payés. Aux laudateurs de ce régime immoral de profiteurs véreux et de parvenus, il faut rappeler que tout ce beau monde qui se pressait aux Tuileries et au Jockey Club s’accommodait sans sourcilier que des enfants de sept ou huit ans tirent des chariots dans les mines de charbon, pour leur procurer de plus gros bénéfices.

Aujourd’hui certains historiens de salon, stipendiés par de puissants lobbies, vantent dans des livres, conférences ou émissions télévisées le vernis tapageur du second empire pour préparer l’opinion à la « réhabilitation » du dictateur du Deux-Décembre ; ils occultent ce que ce luxe dispendieux et de mauvais goût, fruit de la spéculation, de la concussion et souvent de l’escroquerie, a coûté de sueur et de peine au peuple, arraché à la terre et jeté dans les usines aux cadences infernales.

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On tente même d’attribuer à Napoléon le Petit le mérite de l’industrialisation du pays, alors que ce mouvement, dû aux grandes inventions du siècle a été le même dans toute l’Europe. En France, l’empereur, sa famille, ses maîtresses, ses courtisans et ses banquiers, n’ont fait que profiter à outrance de cette industrialisation naissante en trafiquant dans tous les domaines ou leur haute position leur permettait d’intervenir. L’empereur et son demi-frère Morny spéculèrent personnellement, édifiant des fortunes considérables ; Napoléon mit même la main sur des paquets d’actions de mines d’or en Alaska… et les papiers trouvés aux Tuileries prouvent qu’il trempa dans l’affaire Jecker et dans d’autres opérations douteuses.

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Eugénie qui entassait les toilettes dans une aile entière des Tuileries et des monceaux de pierreries dans ses écrins (un seul de ses bijoux était serti de plus de 5 000 diamants !) ne se contentait pas de dépenser des millions chez le joaillier Mellerio et ses confrères ; elle spéculait également n’hésitant pas à se livrer à la concussion : Morny, lui remit gracieusement (entre autres « cadeaux ») pour huit millions de bons Jecker afin qu’elle favorise l’expédition militaire du Mexique ; pays où les pontes du régime spéculèrent davantage encore, après son occupation par les troupes françaises, en créant de mirifiques sociétés destinées à gruger les gogos, c’est-à-dire les épargnants français. Il n’est pas étonnant que dès que fut connue à Paris la défaite de Sedan, le régime corrompu et haï, tomba en une heure ; il ne trouva pas un seul défenseur, même les militaires mirent « crosse en l’air ». Née dans la boue, le sang et la honte, la dictature impériale finit de même, avec en prime l’invasion de la France ; à Paris assiégé on mangea du rat pendant que réfugiés en Angleterre, Napoléon et Eugénie faisaient le compte de leurs énormes rentes.

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Sans oublier que la perte de l’Alsace et la Lorraine dont fut directement responsable Napoléon le petit, entraîna les deux guerres mondiales suivantes. Il convient de rappeler à ceux qui tentent de réhabiliter le « grand truqueur de plébiscites » (dont celui de Nice et de Savoie), ce qu’en a dit le général de Gaulle, quand en 46 on lui proposa de se faire plébisciter pour conserver le pouvoir : « Me faire plébisciter ? Impossible. En France, la famille Bonaparte a rendu tout plébiscite impossible ! ».

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Six mois après l’invasion de Nice par les troupes françaises, à l’autre bout du monde, le palais d’Été était livré aux flammes (7 et 8 octobre 1860). Victor Hugo exilé fut encore une fois la conscience de la France. Voici le magnifique texte rédigé à Hauteville House et daté du 25 novembre 1861 :

« Vous me demandez mon avis, Monsieur, sur l’expédition de Chine. Vous trouvez cette expédition honorable et belle, et vous êtes assez bon pour attacher quelque prix à mon sentiment ; selon vous, l’expédition de Chine, faite sous le double pavillon de la reine Victoria et de l’empereur Napoléon, est une gloire à partager entre la France et l’Angleterre, et vous désirez savoir quelle est la quantité d’approbation que je crois pouvoir donner à cette victoire anglaise et française ».

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« Puisque vous désirez connaître mon avis, le voici : Il y avait dans un coin du monde, une merveille du monde : cette merveille s’appelait le palais d’Été. L’art à deux principes, l’idée qui produit l’art européen, et la Chimère qui produit l’art oriental. Le palais d’Été était à l’art chimérique ce que le Parthénon est à l’art idéal. Tout ce que peut enfanter l’imagination d’un peuple presque extra-humain était là. Ce n’était pas comme le Parthénon une oeuvre une et unique ; c’était une sorte d’énorme modèle de la chimère, si la chimère peut avoir un modèle. Imaginez une sorte de construction inexprimable, quelque chose comme un édifice lunaire, et vous aurez le palais d’Été. Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze et de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, émaillez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes les mille et uns rêves des mille et unes nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d’eau et d’écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d’éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c’était là ce monument. Il avait fallu, pour le créer, le lent travail des générations. Cet édifice qui avait l’énormité d’une ville, avait été bâti par les siècles, pour qui ? Pour les peuples. Car ce que fait le temps appartient à l’homme. Les artistes, les poètes, les philosophes, connaissent le palais d’Été ; Voltaire en parle. On disait, le Parthénon en Grèce, les pyramides en Égypte, le Colisée à Rome, Notre-Dame à Paris, le palais d’Été en Orient. Si on ne le voyait pas, on le rêvait. C’était une sorte d’effrayant chef-d’œuvre inconnu entrevu au loin dans on ne sait quel crépuscule, comme une silhouette de la civilisation d’Asie sur l’horizon de la civilisation d’Europe ».

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« Un jour, deux bandits sont entrés dans le palais d’Été. L’un a pillé, l’autre a incendié. La victoire peut être une voleuse, à ce qu’il paraît. Une dévastation en grand du palais d’Été s’est faite de compte à demi entre les vainqueurs. On voit mêlé à tout cela le nom d’Elgin, qui a la propriété fatale de rappeler le Parthénon. Ce que l’on avait fait au Parthénon, on l’a fait au Plais d’Été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n’égaleraient pas ce formidable et splendide musée de l’Orient. Il n’y avait pas seulement là des chefs-d’œuvre d’art, il y avait des entassements d’orfèvrerie. Grand exploit, belle aubaine. L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant l’autre a rempli ses coffres ; et l’on est revenu en Europe, bras dessus bras dessous, en riant. Telle est l’histoire de ces deux bandits »

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« Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont des barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre. Mais je proteste et je vous remercie de m’en donner l’occasion ! Les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais. L’empire français a empoché la moitié de cette victoire et il étale aujourd’hui, avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du palais d’Été. J’espère qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée. En attendant, il y a vol et deux voleurs. Je le constate. Telle est, Monsieur, la quantité d’approbation que je donne à l’expédition de Chine » « Victor Hugo ».

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L’impératrice que l’on avait proclamée « marraine de l’expédition de Chine », prisait fort les « chinoiseries » ; les plus beaux objets volés que l’armée lui offrit, furent exposés sans vergogne aux Tuileries, dans le pavillon de Marsan, puis conservés dans son musée personnel au palais de Fontainebleau, ce qui donne la mesure de l’indignité de ces souverains d’occasion qui durent leur couronne à un coup d’état sanglant. Quelques jours avant la chute du régime, Eugénie retrouvant les instincts de son ancienne condition, pensa à sauver la caisse. Elle fit passer à l’étranger par la valise diplomatique autrichienne, tous ses bijoux et le livre d’Heures de Marie-Antoinette. Dans l’affolement, les « chinoiseries » furent oubliées à Fontainebleau ; une partie de la collection s’y trouve toujours.

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